Honorables membres du Présidium,
Chers collègues, compagnons de notre université de Veracruz,
Chers amis,
Je m'adresse à vous au nom de tous mes compagnons du centre Éco-dialogue pour présenter notre ami et maître, monsieur Basarab Nicolescu. Je dois dire que c'est un grand honneur d'avoir été distinguée par cette tâche, qui représente pour moi un grand défi. Faire le portrait d'une personnalité si riche et complexe n'est pas chose aisée.
Basarab Nicolescu est un homme de science, un être infatigable, profond et rigoureux. Un poète scientifique, un rêveur, un humaniste. Un semeur d'espoir.
Il est né en 1942 à Ploiesti, une ville située à proximité de la capitale roumaine, en Europe de l'Est. La Roumanie, lieu de frontières et de connexions, de rencontres de
cultures, où jusqu'à aujourd’hui persistent quantité de traditions
ancestrales.
C'est là que Basarab Nicolescu a vécu sa prime jeunesse et a entamé le parcours qui allait le conduire à concevoir sa proposition d'unification de la connaissance pour réveiller une nouvelle conscience de l'humanité.
Il a étudié à la faculté de physique de l'université de Bucarest, où il présenté en 1965 son mémoire à propos de la théorie des champs et de l'interaction des particules élémentaires.
Son intention de créer un dialogue entre la science et les humanités était présente dès sa jeunesse.
En 1968, il réalise une étude sur le travail littéraire de Ion Barbu, mathématicien et poète roumain, à l’occasion de laquelle il explore le lien entre la science et la poétique, et découvre ainsi les potentialités lyriques des notions mathématiques. Déjà, ce travail préfigure clairement sa proposition transdisciplinaire.
Il obtient à 26 ans une bourse du gouvernement français pour étudier à l'université de Paris VI, où il continuera ses recherches autour des particules subatomiques quantiques et obtiendra le grade de docteur en physique en 1972.
Depuis cette époque, il a travaillé en qualité de physicien théoricien à l'institut de physique nucléaire du centre national de recherche scientifique à Paris et est depuis chercheur au laboratoire de physique nucléaire et haute énergie de l'université de Paris VI.
En 1976, il a collaboré en qualité de chercheur invité au laboratoire Lawrence de Berkeley, en Californie, où il a développé la notion de Niveaux de réalité. Il y a travaillé avec le fondateur de la théorie de bootstrap, Geoffrey Chew.
L'unification de la théorie de la relativité et de la physique quantique lui a permis de créer le concept au centre de la transdisciplinarité : la notion de réalité et de niveaux de réalité. « Le mot réalité, nous dit Basarab dans un de ses derniers livres, est l'un des plus prostitués dans toutes les langues du monde. Nous croyons tous savoir ce qu'est la réalité mais si nous nous interrogeons, nous découvrirons qu'il y a autant d'acceptions de ce mot que d'habitants sur la terre.
C'est pourquoi il n'est guère surprenant que les conflits en son nom agitent sans cesse les individus et les peuples : réalité contre réalité. C'est un miracle, poursuit-il, que dans ces conditions l'espèce humaine existe encore. » (2009: 9)
En 1985, il publie le livre Nous, la particule et le monde, dont la notion centrale est précisément celle de « niveaux de Réalité », l'un des trois piliers de la perspective transdisciplinaire. C'est pour cela que ce texte est considéré comme l'acte de naissance de la transdisciplinarité.
Nous, la particule et le monde a reçu la médaille d'argent du Prix de l'Académie française en 1986.
Dans cette recherche, Basarab Nicolescu se propose d'essayer d'analyser la révolution quantique et son impact sur les sphères les plus importantes de la connaissance : les sciences, les arts et les religions ; il se risque ainsi à franchir les frontières disciplinaires pour pénétrer dans la richesse cachée qui se trouve entre, à travers et au-delà des spécialisations.
Il nous présente ainsi la transdisciplinarité comme une voie valide et rigoureuse pour toucher à la compréhension de notre monde actuel et réaliser l'unité de la connaissance humaine, défi posé par Niel Bohr en 1961.
En 1987, Basarab Nicolescu fonde le Centre international de recherches et d'études transdisciplinaires, qui réunit actuellement 165 chercheurs de 26 pays. En 1991, il fonde avec René Berger le groupe de réflexion sur la transdisciplinarité de l'Unesco, constitué de 16 personnalités du monde scientifique intellectuel. Ce groupe se trouve à l'origine d'une série de réunions et d'actions internationales parmi lesquelles on distingue la Charte de la transdisciplinarité de 1994, ébauchée avec Edgar Morin et Lima de Freitas au Portugal.
Dans son livre La science, le sens et l'évolution. Essai sur Jakob Boehme, publié en 1988 et récompensé au concours Benjamin Franklin comme le meilleur livre d'histoire aux États-Unis, Basarab Nicolescu nous lance un appel au dialogue entre la science et la tradition philosophique moderne, comme stratégie pour provoquer une évolution de l'esprit humain, tellement nécessaire actuellement.
Ce texte se nourrit de l'intérêt de découvrir comment la science moderne a pu naître en Occident et ébauche les prémices d'une nouvelle philosophie de la nature.
En 1994, il publie ses Théorèmes poétiques, témoignages axiomatiques de sa propre expérience vécue. Dans leur ensemble, ces théorèmes lyriques représentent « le point de convergence entre la physique quantique, la philosophie de la nature et l'expérience intérieure », aux dires de Basarab lui-même.« La parole vivante : éclair qui traverse instantanément tous les niveaux de réalité ». Le texte dans son ensemble, constitué par des dizaines de théorèmes de ce type, aborde chacun des points de rupture de sa notion de réalité : les niveaux de réalité, l'émergence d'une rationalité vivante qui incorpore rationalité et irrationalité, le mariage entre science et religion, et il rend compte de la stupéfiante similitude entre le langage quantique et le langage poétique.
Dans chacun de ses théorèmes poétiques, la métaphore condense la complexité du signifié implicite dans l'expérience de la perception du sujet, qui révèle, dans un langage littéraire, l'expérience vécue à travers les sens. De cette façon, les multiples niveaux de réalité et la dimension sacrée du tiers caché se révèlent et, avec eux, la connaissance vivante de qui les écrit. Nous pouvons justement deviner dans ce texte la résurrection du sujet, condition nécessaire et urgente de l'émergence d'une connaissance efficace et pertinente pour notre temps.
En 1996, paraît le Manifeste de la transdisciplinarité, texte qui synthétise, récapitule et ordonne les principes de base, les notions centrales et l'intention globale de sa proposition. Dans ce livre, Basarab nous offre une alternative à la proclamation scatologique postmoderne de la mort de l'histoire, de l'être humain et de Dieu.
Basarab nous invite à retrouver l'espoir en affrontant, avec une pleine conviction et un plein engagement, les défis que nous lance la crise actuelle. Face à la tendance à la paralysie et à la frustration, Basarab parie sur la découverte des merveilles de la complexité de notre réalité. Ainsi, dans le manifeste de la transdisciplinarité, le seul de ses textes ayant été traduit récemment en espagnol, il nous montre le paradoxe sous-jacent de l'actuelle crise planétaire : d'un côté la tendance évidente à l'autodestruction matérielle, biologique et spirituelle de l'être humain ; de l'autre côté, la possibilité d'aller au-delà de cette tendance autodestructrice, et de découvrir la tolérance et la sagesse à l'intérieur des sociétés humaines.
Ce n'est qu'en réveillant la conscience que nous pourrons nous dépasser, en tant qu’êtres humains vers un monde incluant ; tel est le propos fondamental de la transdisciplinarité.
Dans son livre récent Qu'est-ce que la réalité ?, publié en 2009, Basarab nous invite à aller au-delà de la science classique et de l'idéologie de la modernité, en procédant à une révision approfondie de la notion de réalité et de la philosophie du tiers inclus de Stéphane Lupasco. Il nous enjoint ainsi à dépasser la croyance que nous vivons dans un monde mécanique, déterministe et rationaliste, et il effectue une critique de la technoscience.
En affirmant dans le même temps la validité d'une chose de son contraire, Basarab Nicolescu nous confronte à la possibilité d'imaginer et de créer un monde de l’entre, et il nous fournit de cette manière des outils scientifiques et philosophiques indispensables pour affronter les grands défis de notre siècle.
Nous voyons donc comment, à travers son œuvre considérable et son action infatigable pour la promotion du dialogue entre les sciences, les arts et les traditions spirituelles, Basarab nous engage dans un profond processus de connaissance de nous-mêmes, comme condition nécessaire pour transformer notre monde et progresser dans la chaîne évolutive en tant qu'êtres humains.
Que dire de plus de ce grand être humain, que nous recevons aujourd'hui avec une grande émotion dans notre maison ? C'est un privilège que vous soyez parmi nous. Merci beaucoup.
Traduction de l'espagnol par Benoit Longerstay
Le Centre International de Recherches et Études Transdisciplinaires (CIRET)
http://basarab.nicolescu.perso.sfr.fr/ciret/Qu'est-ce que la réalité ? - Réflexions autour de l'oeuvre de Stéphane Lupasco
«Le mot "réalité" est un des plus prostitués de toutes les langues du monde. Nous croyons tous savoir ce qu'est la réalité mais, si on nous interroge, nous découvrons qu'il y a autant d'acceptions de ce mot que d'habitants sur la terre. Il n'est donc pas étonnant que les conflits sans nombre agitent sans cesse les individus et les peuples: réalité contre réalité. C'est une sorte de miracle que, dans ces conditions, l'espèce humaine existe encore.
Plus de soixante ans après l'affirmation de Wolfgang Pauli, un des fondateurs de la mécanique quantique: "la formulation d'une nouvelle idée de réalité est la tâche la plus importante et la plus ardue de notre temps", cette tâche reste inaccomplie. Et pour illustrer cette quête, je prends, comme cas exemplaire, l'œuvre de Stéphane Lupasco (1900-1988). J'ai eu le privilège de partager l'amitié de Lupasco de 1968 à sa mort. Ce livre voudrait prolonger nos échanges intellectuels et spirituels au-delà de ce terme. En effet, la pensée de Lupasco est un système ouvert, soumis à un perpétuel questionnement constructif. Elle nous aide à avancer vers une sagesse en conformité avec les défis majeurs de notre siècle.»
photo relevée sur
http://www.uv.mx/noticias/noviembre11/071111-transdisciplinariedad-basarab-nicolescu.html
Quelques autres articles sur/de Basarab Nicolescu sur ce Blog :
Qu'est-ce que la réalité ? - Adonis - Banu - Nicolescu
Art - Religion - Mystique - Science
novembre 2010
http://caravancafe-art-actuel.blogspot.com/search/label/sciences%20de%20l%27%C3%A9ducation%20%20transdisciplinarit%C3%A9
Basarab Nicolescu - Dimensions of Reality
http://caravancafe-art-actuel.blogspot.com/2011/06/basarab-nicolescu-dimensions-of-reality.htmlimagination imaginaire imaginal - Basarab Nicolescu
http://caravancafe-art-actuel.blogspot.com/2011/09/imagination-imaginaire-imaginal-basarab.html
Disciplinary boundaries
http://caravancafe-art-actuel.blogspot.com/search/label/sciences%20de%20l%27%C3%A9ducation%20%20transdisciplinarit%C3%A9Basarab Nicolescu - Ilke Angela Marechal
http://caravancafe-art-actuel.blogspot.com/2011/06/basarab-nicolescu-ilke-angela-marechal.html
La vallée de l'étonnement -Rencontre Nicolescu - Camus
BASARAB NICOLESCU Aspects gödeliens de la Nature et de la connaissance
http://caravancafe-art-actuel.blogspot.com/2011/04/basarab-nicolescu-aspects-godeliens-de.html