La vallée de l'étonnement
Le monde Quantique
Le monde Quantique
par Michel Camus
(interview)France-culturetranscription de l'émission de France Culture
vers 2002 - carol shapiro
Photo de la série "toiles en lumières"
carol shapiro 2010
"Une continuelle création et annihilation de la matière
et de l'anti-matière, une continuelle création de
particules qui attendent, en quelque sorte, de passer à la réalité…"
Basarab Nicolescu est physicien théoricien au CNRS spécialisé dans la théorie des particules élémentaires, il a notamment publié "Nous, la Particule et le monde" et "La science, le sens et l'évolution". Il a créé avec René Berger le groupe de réflexion sur la Transdisciplinarité auprès de l'UNESCO, réunissant des scientifiques de haut niveau, mais aussi un poète argentin, un plasticien portugais, un philosophe et sociologue français, Edgar Morin, ainsi que que le traducteur de la Bible hébraïque et du Coran, André Chouraqui.
Basarab Nicolescu s'intéresse depuis longtemps aux relations entre la science et l'art, entre la science et la poésie, entre la science et la philosophie. Non seulement la philosophie des sciences de notre époque, mais tout autant celle de notre héritage des plus anciennes traditions.
Dans un de ses livres Basarab Nicolescu cite Jean Delacroix, selon lequel "nos sens sont les prisons de notre âme".
Pour percevoir au-delà de nos sens, il est donc nécessaire d'ouvrir des fenêtres dans les murs de nos sens.
A première vue la physique des particules n'a rien à voir avec la métaphysique de Jean Delacroix, et pourtant Basarab Nicolescu, c'est vous qui faites cette analogie avec le monde quantique. Supposons que nous n'ayons jamais entendu parler du monde quantique, que pouvez-vous dire pour nous introduire dans cet univers inconnu et totalement invisible a nos yeux ?
Le problème que vous posez, d'emblée, c'est la nature de la réalité. Si j'ai cité Jean Delacroix, c'est parce qu'il disait apparemment deux choses contradictoires : il parlait de la nuit des sens, comme démarche nécessaire pour toucher cette réalité qu'il cherchait, en tant que chercheur traditionnel, et en même temps il disait : les organes des sens sont les fenêtres de notre prison.
J'ai trouvé dans cette affirmation quelque chose d'exemplaire qui s'est illustré de manière éclatante quelques siècles plus tard, par la physique quantique. Dans quel sens? Tout d'abord l'échelle quantique. L'échelle quantique on peut la visualiser d'une manière approximative, en termes de distance. Supposez que vous prenez un centimètre, vous le divisez en dix, vous prenez la dixième partie, vous la divisez en dix à nouveau. Vous faites cette opération treize fois et vous arrivez ainsi aux portes du monde quantique.
Donc ainsi, par cette notion d'échelle, d'échelle d'espace, il y a quelque chose de vertigineux, parce que nous nous approchons de quelque chose qu'on ne voit pas, de l'invisible. Donc quelque chose qui est éloigné de nos organes des sens. Bien entendu nous avons les prolongements de nos organes des sens qui sont les instruments de mesure en physique et, tout particulièrement ces microscopes fabuleux qu monde quantique qui sont les accélérateurs de particules. Et ainsi nous pouvons pénétrer dans ces mondes, sans réellement les voir… Nous pouvons voir des traces, des signes, nous pouvons reconstituer, reconstruire ces mondes. Mais nous n'entrons jamais nous- même dans ces mondes quantiques
Est-ce qu'on pourrait expliquer ce que c'est ? Pourquoi quantique, qu'est que "les quanta" ?
Toute l'aventure -entraînée par la découverte du monde quantique, -spirituelle, intellectuelle et même morale, a commencé en 1900 quand Planck a fait sa découverte théorique : en étudiant les rayonnements du corps noir, il est arrivé à une conclusion bouleversante - bouleversante pour lui en tant que physicien classique encore- de la nécessité d'introduire des quantas d'énergie. Cela veut dire que l'énergie varie par des multiples entiers d'une certaine quantité qu'on appelle les quantum élémentaires d'action…Action veut dire tout simplement énergie multipliée par le temps.. Donc un quantum c'est une sorte d'unité fondamentale de ces mondes nouveaux,( les mondes quantiques) de telle manière que soudainement apparaît cet arcane majeur du monde quantique qui est la discontinuité : l'énergie varie par des multiples entiers, rien d'autre. Entre deux multiples de ces quantum élémentaires d'action il n'y a rien.
Qu'est-ce qu'on appelle les particules, par rapport aux quanta, justement?
Les particules sont des quantifications des champs, c'est à dire apparaissent comme des quanta des champs. Autrement dit, dans la théorie moderne, la théorie quantique des champs, il y a deux aspects compatibles mais contradictoires qui sont, les champs qui remplissent d'une manière continuelle l'espace, et les particules qui sont comme des pulsations, comme des vibrations de ces champs, qui se matérialisent par certaines caractéristiques : la masse, les spins et beaucoup d'autres caractéristiques que nous appelons les nombres quantiques. Et on ne sait pas si ces particules sont en nombres finies ou infinies… Probablement en nombres infinis.
C'est aussi une découverte assez étonnante, parce que dans notre monde, si vous prenez tout ce qu'il y a autour de nous :(les chaises, les tables, les galaxies, les planètes, nous même), trois particules suffisent pour bâtir le monde : les protons, les neutrons et l'électron. Et pourtant nous avons tiré, littéralement du néant, des centaines d'autres particules. Des particules qui sont intéressantes, parce qu'elles portent en elles tout l'information de leurs propres interactions. Ces quatre interactions physiques portent en elles le "secret" de l'univers lui-même..
Ce qui nous surprend, c'est ce paradoxe de particules qui dansent dans une sorte de vide, que vous appelez vide quantique, et qui est paradoxal justement parce qu'il n'est pas vide. A entendre les physiciens, on imagine une sorte de danse hystérique des atomes. Alors comment voyez -vous, je dirais, presque poétiquement, ce vide quantique ?
"Il y a une harmonie,
qui là aussi atteint les dimensions poétiques,
qui fait ces fluctuations du vide
contiennent potentiellement en elles, tout l'univers"
Dans le monde quantique, le vide est littéralement plein… Plein de vibrations qui sont déterminées par des lois précises, et vérifiées du point de vue expérimental, dans leur précision extrême, comme conséquence de ces lois quantiques. Ce vide vibre de telle manière qu'il y a, par des lois quantiques comme par exemple l'existence de la matière et de l'anti-matière, la création et l'annihilation perpétuelle de paires de particules, dites virtuelles -virtuelles dans le sens qu'elles ne sont pas encore tirées de ce vide quantique à la réalité, c'est à dire les "voir" dans les accélérateurs de particules. Evidemment, dans les plus petites régions de l'espace il y a une activité qui dépasse toute imagination possible. Des déplacements, des vitesses, incomparables a celles auxquelles nous sommes habitués dans notre monde " à nous". Une continuelle création et annihilation de la matière et de l'anti-matière, une continuelle création de ces particules qui attendent, en quelque sorte, de passer à la réalité. Et comment passer à la réalité, et bien, en fournissant de l'énergie a ce vide quantique; c'est ce que l'on fait par les accélérateurs de particules. Il y a même plus que cela, dans ces fluctuations aléatoires, ce n'est pas du tout une danse hystérique, c'est tout à fait une danse harmonieuse. Il y a une harmonie, qui là aussi atteint les dimensions poétiques, qui fait que ces fluctuations du vide contiennent potentiellement en elles tout l'univers.
Dans les théories actuelles, tout ce qui se passe, tout ce qui s'est passé dans le monde quantique aux premiers instants du big-bang, détermine l'apparition des planètes, des galaxies, de nous-mêmes…
Est-ce que ce "vide plein" dont vous parlez, n'a pas remplacé l'ancienne vision de l'éther, comme nouveau référentiel absolu ? Est-ce que c'est une réalité, ce vide? Est-ce qu'on peut encore parler de réalité?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire